Contemplatif, méditatif, l’ermite reste là, assis contre l’herbe, lové au creux d’une pente sans lumières. La musique lointaine d’une guitare vient teindre l’air de voluptes de gaieté. Là, une artiste, toute de noir vêtue, vient s’abreuver des lumières trop vives de la ville qui s’endort. Ici, les rires s’entrechoquent et se répondent. La nature toute entière semble étrangement veiller à la quiétude du lieu. On y entre par un portail des plus sobres, en fer forgé, sa teinte de bleue gémit du temps qui s’est écroulé sur elle. Un rapide coup d’oeil à l’écriteau qui tient lieu de hors d’oeuvre, et l’on comprend rapidement que ce lieu ne peut être dit par des mots.
Et encore, c’est qu’il faut s’acharner à le retrouver, ce clos du temps perdu! Ce n’est qu’après être monté, descendu, remonté, avoir chaviré, virevolté, sué sang et haut, que l’on peut prétendre à sa beauté. C’est une femme des plus délicates, d’avec laquelle on s’excuserait presque de la fouler du pied. Ses courbes hasardeuses font perdre l’esprit, et seuls ces milliers de phares qui scintillent alentours, viennent assomer la nymphe des nymphes, la gardienne du Temps que l’on ne prend pas, et de celui qui nous file entre les doigts.
Divagation… En contrebas la rivière s’étire de tout son long, emmitouflée au creux de son lit. Peut-être attend-t-elle le bon moment, pour se réveiller, bondir, et nous submerger. Peut-être n’est-elle là, que pour susciter un peu mieux la rêverie, chez le promeneur solitaire.Elle est fine et longiligne, comme d’autres femmes que l’on connut, qui vous terrasse par leur charme, auxquelles on se crame, de vouloir les étreindre, que l’on caresse parfois, avec toujours cette sensation de froid qui vous glace le sang, mais tandis que l’on s’éloigne, pas après pas, ses cheveux reprennent leur course initiale, embrassés par du vent, cajolés par trop d’imprudents.
Le calme s’est fait à présent, tout autant que la fraîcheur nocturne invite les âmes à se réchauffer. A coup de liqueur, de chants, de rires, de corps à corps. Pendant ce temps, perdant ce temps, se perdant dans le temps, on ne sait plus trop à quel repère se raccrocher. Et c’est tant mieux! Quitte à en être pris de vertiges, il faut se laisser tomber, dans le terrier du lapin blanc. Il est le guide des égarés, le protecteur des hôtes de la nymphe pentue, face aux crochets pleins de bave, acérés comme un éminceur que l’on viendrai d’affûter. Face aux chauves souris virevoltant ça et là, en quête de la substantifique moelle des ethers humaines. Démoniaques, elles sont les gardiennes de la nuit, tout comme les yeux du rêveur viennent figer ces chandelles aux feux irréguliers.
Voici la fin, dit la musique. La fin de quelque chose infiniment humain, mais pourtant bien trop idyllique pour n’être pas en plus l’oeuvre d’une aimable puissance. Ne me laisse pas! Ne m’abandonne pas! Ne me fuis pas! Crient en choeur les herbes folles dansant alentours comme sorcières un soir de Sabbat. Mais comment pourrait-on… Comment pourrait-on se détacher du sein maternel, sans pour autant en éprouver une grande déchirure. Voici la fin, crie la chanson. Il va donc falloir se laisser pousser des dents comme les chauves souris, aller danser chacun de son côté, chacun chez soi, parmi les herbes folles. Et bien fol celui qui s’éprendrait d’une rivière, avec pour unique fin, l’intention de remonter à sa source.
La source… La source de tout, c’est nous. Vous croyez vous?