Ekphrasis mélodique sur N’TO – Trauma
Le Dieu intérieur a dit « écoutez ce son, c’est ma vie ». Quatorze minutes vingt huit secondes de sensations inexplicables, qu’il faudra bien pourtant parvenir à démêler.
Le titre, tout simplement, semble destiné à bon nombre d’esprits fracturés, démantibulés par la vie, jusqu’aux grands génies directement tombés dans l’oubli. Trauma. Ce seul nom « trauma » et l’on mesure toute la portée de cette mélodie. Elle fait rejaillir les traumatismes, même les plus enfouis. Rythme entraînant, comme un choc sur l’onde qui se répercute à la ronde. Trauma, trauma, trauma trauma… crie le cerveau au départ. Ça fait mal, ça fait mal, arrête arrête, arrêtez tous autant que vous êtes, laissez moi, tuez-moi, je veux repartir, qu’est-ce que je fais là. Laissez-moi enfin, j’ai mal.
Jusqu’à 44 secondes, tout se passe bien.Les notes qui se succèdent laissent voir un enfant, en plein milieu du monde de l’enfance, une vie simple, composée de joies multiples, de larmes de crocodile.
Mais très vite, tout bascule. 44 secondes et bam! Le premier choc de la vie se fait entendre. La première brisure, la première tâche sur des ailes de chérubins. Il faut se redresser, regarder devant soi, parfois fermer les yeux, et courir à s’en rompre les genoux. Courir, comme dans un rêve sans fin, ou la course serait le seul échappatoire à on ne sait quel souvenir lointain, certainement celui d’une autre vie, d’un autre temps. Et le souffle commence à manquer, mais pourtant, il faut continuer. L’on se rend compte du monde qui défile aussi vite que nos pieds s’entravent dans notre course frénétique, énergique. Des images, des flashs, des couleurs sans couleurs, et de longues agonies muettes. Ça crie, ça hurle dans tous les sens, et pourtant rien ne ressort. C’est peut-être dedans. Mais tout reste vivable, survivable. L’on sent très vite, près de la minute trente, que quelque chose se prépare, comme lorsque le ciel se couvre avant un gros orage. Trauma.
1’43, au rythme des pas, de la course, l’on s’est acoquiné de quelques démons. Qu’on ne voit pas, mais que l’on sent. Ceux-là bien malins qui s’encanaillent du premier choc. Un divorce, une rupture, une conscience trop précoce, des capacités non détectés, un manque d’adaptabilité à la réalité. La mort d’un proche, échec scolaire, attouchements, rejet, exclusion, solitude, noir noir noir, désespoir. C’était la première cassure. Trauma.
2’17 et l’on pleure. On pleure nos pieds tout irrités, déjà bien trop lacérés par cette course effrénée. L’on croit entrevoir une lumière dans tout ce noir, mais les démons ont déjà le dessus. Ils sont forts, bien plus forts que nous. Alors on attend. On ne vit pas. On s’arrête, pour la première fois, et l’on veut revenir sur nos pas, on se retourne, un peu trop peut-être, pas assez peut-être. Le premier chagrin d’amour s’ajoute à la première brisure. Et, sans attendre un quelconque accord de notre part, ça repart. De plus bel, les larmes se cristallisent sur le sols, s’impriment dans notre peau, dans notre mémoire, et forgent notre désespoir. Trauma.
3’02, les images se figent un instant. On revoit nos parents, on les soûlent de tous nos questionnements, sans réponse, sans un regard, sans même un hochement de tête, un encouragement. Une perte de temps. Alors on en prend de la graine, de cette petite graine que nous fûmes, de ce fumier que l’on a répandu sur nous, dont on s’abreuve, et qui a un sale goût. Mais ce n’est qu’un médicament. un sale goût, mais il soigne, pour un moment, figé dans le temps. Mithridatisation corporelle, spirituelle, le début du reste de la vie. Et ça dure, perdure, avant que l’on ne reprenne notre souffle, reprenne notre course, mais il le faut, on serre les dents, on se jette tête la première dans l’abysse, on glisse, encore, on morfle salement. Trauma.
5′, les journées s’enchaînent, les fers nous enchaînent, et nous lestent d’un gros boulet que l’on devra toujours traîner. Certaines deviendront dès lors traînées, d’autres sont tombés, sans jamais se relever. Le dormeur du val. On cavale bien mieux qu’avant, mais nos démons sont comme nous, bien plus grands. Ils nous soufflent dans les oreilles, nous tirent ;es cheveux, freinent notre course, brouillent les images alentours, instaurent le chaos, la discorde, la disgrâce, au point qu’on implorerait l’ultime châtiment. Mais pour les plus vaillants, la course continue, les joies sont maigres, mais pourtant, sans trop savoir vraiment, on poursuit cette course éphémère, on traque la lumière, du soir au matin, sans jamais vraiment en voir un brin. Ça fait mal! Ça fait mal! Le cœur implose en sang, et vomit toute sa bile, les sourires s’estompent, le visage se ferme, on n’est plus qu’à demi présent, qu’à demi vivant.Trauma.
5’28. On dirait que se calme le vent, on ne souffre plus autant, mais pourtant, ce n’est qu’une illusion, un garde fou que l’on s’est forgé, pour pouvoir trouver par intermittence, le répit. Trauma.
6’28. tout ça rejaillit sans fin, comme des lames acérés que l’on se planterait par plaisir aux quatre coins de notre esprit. Douleur, continuel cri… Et pourtant, voici venir la goutte de pluie qu’il n’aurait pas fallu récolter. Celle dont on se serait volontiers passé, mais qui contribuera à alléger notre passé. Les larmes ne sont plus de crocodile, mais la peau maintenant tout aussi écailleuse. Pour se protéger des épines, de la vase, des déchets du monde, du froid hivernal, de la chaleur infernale. On fait le point, on appelle le firmament, comme s’il était notre seul compagnon indolent. Sa réponse se perd dans le néant. On implore les dieux, les morts, les vivants, de nous aider à reprendre notre souffle, car la course est rude, et l’air absent dans cette fournaise universelle. C’est déjà tout un mille feuille de Trauma qu’on ingurgite pas après pas. et soudain…
7′ c’est l’instant T. L’instant de conscience, de reconnaissance, ou plutôt de renaissance. Ça fait mal, oui, ça crie, oui, les images sont trop tristes, oui. Mais à présent? A présent il faut songer au futur, il faut le construire moins dur, il faut réagir, scier ces chaînes qui nous pèsent, nous empêchent de jouir pleinement, du moment, de l’instant, et de tous leurs composants. Voici l’Homme. Trauma partiel.
7’27. Un éclair jaillit dans les ténèbres, un de ceux qui vous aveugle tellement il est grand, de ceux qui vous laisserai sur le carreau si vous n’aviez pas ces démons hideux. Des ténèbres jaillit la lumière. Alors comme un mort-vivant, comme un mollusque itinérant, que l’on aurait recueilli hors de l’eau, on est immergé à nouveau. Les fonds baptismaux sont primordiaux, dans ce combat sans fin que l’on mène depuis bien trop longtemps. On reste droit à présent, on cherche la meilleure façon d’allèger ses peines, de ronger sa patte et laisser trainer au loin ce gros boulet. L’éclair frappe encore et nous en libère. Pour la première fois, on a l’impression de respirer, de s’abreuver d’un air qui nous était jusque là inconnu. Alors on pousse un cri, comme un nouveau né, mais non de douleur cette fois, de joie. De bonheur, d’enchantement, comme un rêveur qui verrait ses plus beaux songes se concrétiser, par la seule force de la pensée, par sa seule volonté. Trauma phénixien.
9′. On rassemble toutes nos forces, on se redresse plus que jamais, car jamais n’est plus à notre goût. On rêve à présent de toujours, d’amour, de beaux jours ensoleillés, à gambader dans les prés, comme dans un clip de Mickey 3D. C’est le moment. cueillir l’instant, divertir ses démons, se dévêtir de ce placenta de malheur. Trauma… quand sonne l’heure.
9’36 la course reprend, avec un oeil plus vif, on sélectionne les images, on les observe discrètement, on s’en abreuve inconsciemment. Elles sont d’une telle beauté. On se sent tout léger, on n’a même plus envie de s’arrêter. Même pas pour souffler, même pas pour s’hydrater. La lumière nous rend nos ailes plus blanches que blanches. Chacune de leur plume a été lustrée jusqu’au sang. Nos jambes s’allègent, fines comme un filament. L’ampoule s’allume alors. La clairvoyance est maîtresse de nos lieux, de cette intimité bien trop intime. Ca gambade ça et là, ça tâtonne, ca se questionne bien mieux qu’avant. Exit trauma… Voici la vie.
10′, 11′, on est Homme. Non pas que l’on naisse Homme, on le devient. Avec le temps. Les évènements s’enchaînent, mais pourtant une faille reste présente dans le système. Mais bien moins grosse qu’avant, une de celle qui ne laisse pas de cicatrice. Ca bouillonne, ca fusionne, et même si trouille il y a, on se demande en fin savant « où cours-je? ». Trauma lointain…
La 12′ minute laisse apparaître comme une grosse boîte, celle de Pandore peut-être, ou même celle qui cache le Saint Graal. Mais la lumière nous guide, et chasse les démons, qui sont maintenant si vieux, qu’on les sème aisément. Il ne reste plus beaucoup de temps, pour obtenir ces trésors de nous-même. Une seule chose est sûre, plus rien ne viendra entraver les pieds du voyageur lointain. On croirait même qu’Hermès lui-même a refourgué ses chausses ailées. Trauma plus qu’une petite coupure, recouvert d’un sparadrap éternel.
14′, il était grand temps, d’attraper cette lumière, de la gober, la digérer, la relâcher, l’apprivoiser, s’en acoquiner, s’accoupler à la lumière, lui faire l’amour comme jamais, pour la remercier d’être venue, d’être restée, et bien sûr d’avoir enlevé le Trauma. Fais doucement petit Homme, les démons sont forts, mais la lumière encore plus, il s’en est fallut d’une brindille pour que jamais nous ne la vîmes, cette étincelle, pour qu’il n’y est après tout, aucune logique à la succession de nos pas. Prends garde grand Homme, car, le chaos rejaillit forcément là où on ne l’y attend pas. Tu as le choix, de subir le Trauma, ou de lui trancher la tête sur le billot de ta volonté.
Cette histoire, c’était l’histoire d’une mélodie, pas n’importe laquelle, bien sûr, mais au fond bien commune pourtant. Cette histoire, c’était l’histoire d’une vie, et sa morale demande à tous d’être en éveil. On a toujours le choix de mourir d’un choc post-trauma, ou bien de s’aggriper de toutes ses dents à la vie, l’honorer, pour qu’à son tour, elle nous honore.
Je dédie ce texte à mes enfants perdus qui n’ont jamais retrouvé leur chemin, mais qui pourtant, continuent de courir.